Passion Parfums

* Article modifié

Un flacon iconique, trois parfumeurs, un esprit ethnique et historique tel est la collection Taslimania imaginée par Gilles Thévenin, directeur artistique de la maison Lubin. Je dois dire que, si je n’ai pas trouvé vraiment celui que je pourrais porter, j’ai une certaine fascination pour ces parfums absolument dingues et hors-norme qui sont une belle illustration de ce qu’est, à l’origine, la parfumerie de niche. Je trouve qu’ils sont à la fois qualitatifs, originaux voire même clivants et dotés d’une identité très forte. J’avais survolé un peu les parfums de la maison dans un article et extrait une ou deux référence de chaque collection et, après les avoir redécouvert, j’ai décidé de revenir sur Talismania particulièrement. Je trouve vraiment chaque jus incroyable et très intéressant à découvrir ne serait-ce que pour sa propre culture olfactive.

Le flacon original

C’est avec « Idole » en version eau de toilette créé en 2005 par Olivia Giacobetti que la maison Lubin est revenue sur le devant de la scène. Pendant six ans, il a été le seul parfum de la maison et la beauté étrange de son flacon m’avait complètement intrigué à l’époque. Je dois dire que j’aimais particulièrement cette version. Sa réinterprétation en eau de parfum en 2011 est très belle mais peut-être que je préférais le côté un peu plus frais de l’original. Il n’en reste pas moins que c’est un très beau jus qui s’ouvre avec une envolée d’absolu de rhum, de safran, de cumin noir et d’écorces d’oranges amères, un coeur de bois de doum (que je ne connaissais pas du tout comme matière première), d’oliban et de canne à sucre et un fond de cuir, de santal rouge et de ciste labdanum. C’est un parfum cuiré, profond et élégant doté d’une originalité très propre à Olivia Giacobetti. La marque le décrit ainsi : « Comme une liqueur intense aux épices brûlantes, Idole de Lubin marie le Bois de Madagascar aux suaves effluves du rhum Bourbon. Le cuir raffiné s’y réchauffe aux épices de Zanzibar. Objet fétiche et parfum extraordinaire, c’est la figure hiératique et muette d’une divinité nubienne, autour d’elle flambent les écorces et grillent les résines. Les corps peints dansent et s’y grisent ». Sur ma peau « Idole » de Lubin est très encens et la résine d’oliban s’exprime peut-être un peu trop. Même si ce parfum, dans toute sa complexité, m’attire beaucoup, j’ai besoin d’apprivoiser cette note si je veux me l’approprier. En tout cas, je trouve, c’est indéniable, que c’est une réussite et j’aime remettre mon nez dedans régulièrement.

« Je suis Sargon, puissant souverain d’Akkad, qu’éleva Aqqi le jardinier des Grands Marais, entre le Tigre et l’Euphrate. L’essence d’Akkad est le cadeau que me fit la belle Ishtar, qui m’aime et me protège. On y trouve tous les onguents les plus précieux du Punt, et aussi ceux des îles de la Grande Mer, et d’autres qui viennent de plus loin encore. Cet ambre est la lumière qui éclaire mon règne, c’est le trésor le plus précieux de mon empire ». Avec « Upper Ten », « Akkad », lancé en 2012 et créé par Delphine Thierry est sans aucun doute l’un des bests de la collection et j’ai eu l’occasion de le sentir sur un ami durant des années. C’est un parfum très baumé, qui s’ouvre sur des notes de mandarine, de bergamote et de sauge sclarée pour aller sur un coeur de cardamome, d’élémi, d’encens et de styrax puis un fond d’ambre, de ciste labdanum, de vanille et de patchouli. C’est un parfum en chaud et froid qui oscille entre le côté résineux des baumes, l’encens et l’association cuirée de l’ambre, du ciste labdnanum et de la vanille. Pour ma part, je ne sens pas du tout le patchouli mais plutôt une opposition entre les notes ambrées et chaudes, presque châtaigne et d’autres froides et très encens. Je ne pourrais absolument pas porter ce parfum c’est un fait mais je reconnais qu’il est absolument incroyable dans son développement. Certes, la note d’encens que je trouve vraiment omniprésente me dérange mais c’est aussi ça la parfumerie de niche, chaque jus peut provoquer une certaine répulsion. En tout cas, je comprends le succès de « Akkad » et même j’en suis content car on ne peut pas tout aimer et c’est vrai qu’au niveau originalité de la création, c’est carton plein.

Créé également en 2012 par Delphine Thierry, « Galaad » est peut-être mon parfum préféré de la collection. C’est un parfum à la fois très tabac blond et un peu aromatique, extrêmement complexe. La marque le décrit ainsi : « D’Égypte, des caravanes viennent quérir la myrrhe en mon pays de Galaad. Mon nom est celui de la terre qui m’a vu naître, car je suis Galaad le chevalier de la Montagne Sacrée. Elle est riche du miel de nos ruches, des grands cèdres qui l’ombragent et des résines qu’on ramenait à Pharaon. Avec l’encens et le chypre, et aussi l’herbe séchée de l’Atlantide, nous affinons le baume précieux dont se parfument les seigneurs d’Orient » et, lorsque j’ai découvert la collection, il y a quelques années, il est indéniablement celui qui m’a le plus plu. C’est un cuir tabac doux, profond et enveloppant très évolutif qui s’ouvre sur des notes épicées et aromatiques de cyprès, cardamome et romarin pour évoluer sur un coeur de myrrhe, de miel et de baume copahu et se poser sur un fond de cèdre de l’Atlas, de cypriol et de tabac blond avec une discrète note de oud. Je dois dire que ce parfum est sans doute inspiré des ce que la parfumerie française des années 20 avait de plus atypique et de plus subversif. Pour moi, il a vraiment un côté cuir de Russie alors qu’il ne comporte aucune note de bouleau ni de mousse de chêne. C’est la magie de la composition en parfumerie. Je dois dire que, en le redécouvrant, je me dis que je l’aime toujours autant et que je pourrais parfaitement le porter. Il m’emmène loin de l’Égypte et de son story telling mais plutôt dans les salons enfumés de l’entre-deux guerre, dans un milieu aristocratique de la vieille Angleterre. L’imagination…

En redécouvrant la collection, j’ai été frappé par un parfum à côté duquel j’étais totalement passé et c’est « Korrigan » créé par Thomas Fontaine en 2012 qui m’a interpellé avec son envolée de baies de genièvre, de safran et de cognac, son coeur de lavande, de graine d’ambrette et de whisky et son fond de cèdre, de oud, de cuir, de vétiver et de différents muscs très cocon. Le parfumeur, qui sait avec talent, redonner vie à des parfums oubliés du siècle dernier, s’est plongé là dans une création pure et contemporaine très inspirée. La marque décrit ainsi « Korrigan » : « Dans les campagnes d’Armorique, la nuit, courent les Korrigans. Ils vont cueillir les baies de genièvre et les avelines sauvages. Puis, dans leurs sombres cavernes, l’orge est distillée en des alcools envoûtants. Ils les épicent de safran, les musquent d’ambrette, les parfument de lavande. Aux fêtes solstices, à tous ils feront boire leurs élixirs aux outres de cuir, pour faire chavirer les corps et les âmes ». Quand je parle de création ethnique, je trouve qu’il en est une belle illustration. Atypique, inattendu, très enveloppant et quand même gardant une certaine fraîcheur, c’est un jus particulièrement étonnant qui ne m’avait pas frappé lorsque j’ai découvert la collection il y a quelques années. Je l’ai redécouvert et vraiment essaye et je dois dire qu’il m’a vraiment séduit. Je ne suis pas certain qu’il pourrait me convenir car il est très éloigné de ma zone de confort mais il n’en reste pas moins que j’ai adoré le porter le temps d’une journée.

Élégant et particulièrement travaillé, « Upper Ten », créé par Thomas Fontaine, a été lancé en 2015 et il est, à ce jour, le dernier né de la collection Talismania. Il est aussi l’un de ses bests, il a même été décliné l’année suivante dans une version féminine, « Upper Ten For Her ». La marque l’évoque ainsi : « Personne, avant qu’ils ne changent le monde, n’avait imaginé qu’une Nouvelle Civilisation naîtrait de leur seule audace. 10 000 hommes, quittèrent, un matin, comme des millions d’autres, leur patrie pour la Liberté, sans espoir de retour. Leurs rêves étaient démesurés. Ils ne redoutaient aucun obstacle, et allaient vivre intensément chaque instant de leurs existences. En 100 ans, ils bâtirent un pays voué à la nouveauté permanente, les Etats-Unis. Ils devinrent les « Upper Ten ». » et je dois dire que c’est assez bien vu. Une envolée de bergamote épicée de cardamome, de baies roses, de safran et de genièvre, un coeur de cannelle, de géranium, de cuir, de pêche et de fleur d’oranger et le parfum s’ancre sur la peau avec un fond de cèdre, de santal, de patchouli, d’ambre et de muscs blancs. Thomas Fontaine signe avec « Upper Ten » un parfum résolument contemporain et je dois dire qu’il plait c’est indéniable, aux hommes comme aux femmes. Pour ma part, si sur le papier, il devrait être pour moi, il n’en n’est rien. Je le trouve vraiment difficile à aborder de part une complexité dans laquelle j’ai un peu de mal à rentrer. Attention, je ne remets pas en doute la qualité de la fragrance pas plus que l’originalité e la création, je me dis juste qu’il n’est pas pour moi. En tout cas, je comprends son succès car il est « très niche » et, en même temps, je le trouve très « parfum signature ». Je pense que celles et ceux qui se l’approprient ont un peu de mal à s’en éloigner pour tenter autre chose.

Si la collection Talismania s’adressait, à sa création, plutôt aux hommes, je dois dire que je connais nombre de femmes qui portent les parfums qui la composent. Elle est le parfait exemple qu’il est bien absurde de genrer les parfums. Elle est, pour moi, la quintessence de ce qu’a voulu Gilles Thévenin pour Lubin dont il assure avec tout le talent qu’il avait développé durant ses années chez Guerlain au temps où la maison était encore une grande marque de parfums et non pas un faiseurs de jus commerciaux et dépourvu à mon sens, d’intérêt pour la plupart. Il a su impulser au sein des collections de la marque, un savoir sentir et un savoir faire tout à fait passionnant en s’entourant de parfumeurs de talent aussi à l’aise dans la re-création de jus hérités de la belle parfumerie à la française que dans l’invention de parfums ultra contemporains, atypiques et incroyables comme le sont ceux de la collection Talismania. J’ai été particulièrement content de remettre mon nez sur ces cinq créations originales absolument fascinantes.